» The Silence

L’air est frais. L’endroit est lugubre, désert. Pourtant, j’aime être ici, seule dans ce silence que certains qualifient comme pesant. Je le trouve reposant, personnellement. Il faut dire que je n’ai jamais aimé l’agitation, le bruit, les rires de loups heureux, tout ce qu’il y a dans les meutes. Surtout ce dernier point qui me fait cependant prendre conscience à quel point je peux être jalouse et égoïste. Je déteste ressentir ces émotions, mais je ne peux pas m’empêcher d’envier ces loups heureux dans leur meute, avec leurs amis, leur solidarité ... J’aurais aimé en faire partie. Me sentir utile, quelque part, être appréciée de quelqu’un. Mais la vie en a décidé autrement. Je me rend compte à quel point je suis contradictoire, à quel point mon esprit est embrouillé. Je ne supporte pas le bruit ni la compagnie d’autres animaux, et pourtant je rêve d’être dans un groupe. Je ne tourne plus aussi rond qu’autrefois. Mais qu’importe, je suis bien ainsi.

J’avance lentement sur le sentier dit maudit. Mes yeux bleus parcourent le paysage dévasté sans savoir pourquoi. Je sais que je ne rencontrerais personne ici, ce qui n’est pas plus mal. Ma marche est monotone, sans but. Je ne sais où aller. Telle est ma vie. Aucune ambition, aucun but. Je pense à mon frère, mort voilà bien des années. Il me manque encore aujourd’hui. Je revois son pelage noir couvert de sang lorsqu’il rentrait de l’une de ses nombreuses batailles. Je me souviens de mon soulagement mêlé à l’inquiétude de savoir s’il s’était blessé ou non. Je devrais lui en vouloir pour toute la peur et l’angoisse qu’il m’infligeait, mais c’était impossible pour moi. Je tenais trop à lui. Lui ne se rendait pas compte, évidemment. Jamais un « tu vas bien ? », jamais d’attention, jamais rien. Je m’étais à moitié tuée pour lui, pour faire son bonheur, faire en sorte qu’il trouve toujours de quoi manger à rentrant. Je passais mes nuits à le veiller, de crainte qu’un de ses adversaires ne viennent le venger. Je l’aimais et je sais je n’aimerais jamais quelqu’un de cette façon. Il avait été mon frère, nous avions tout affronté ensemble. Je secoue ma tête. Je ne dois pas penser à lui. La douleur, bien qu’ancienne, est trop forte. Me yeux embués de larmes me font m’arrêter et je m’assois en faisant le vide dans ma tête. Je veux penser à autre chose. Je songe à la faim qui me tenaille depuis bien des jours. Je sais à quel point je fais peur à voir tant je suis maigre. Il serait temps que je me mette à la chasse, et je sais que je ne suis pas au bon endroit pour rassasier mon ventre. Demain. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour partir aussitôt. J’attendrais.

Jusqu’à ce qu’un petit lapin fit son apparition. Je sais que ce petit animal ne me rassasiera pas, loin de là. Je suis une louve, j’ai besoin de plus que ça. Pourtant, la vue de ce mammifère éveille en moi mon instinct de chasse. Il ne serait pas bien facile à attraper. J’ai connu pire. Je me lève et me mit en position, prête à bondir. Le lapin m’a vu, lui aussi. Il me fixe de ses yeux sombres et ne bouge pas. Lui aussi est prêt. Je sais qu’un mouvement de ma part le fera bondir. Nous restons là, les muscles bandés, pendant je ne sais combien de minutes. Je suis concentré sur lui, sur ses mouvements, sur ses yeux. Je ne lis pas de la frayeur, je ne lis rien. Il est neutre, comme s’il ne ressentait rien. Je sais que de mon coté, ce n’est pas le cas. Mes yeux doivent être grands ouverts et doivent exprimer toute ma vie de le tuer et de savourer sa viande. Je n’aime pas laisser mes sentiments ressortir. Je n’aime pas qu’on lise en moi. Mais je ne suis plus capable de rien. J’admire ce lapin de faire face à une mort presque certaine en n’exprimant rien. Soudain, tout ce passe vite. Vif et rapide, le lapin se retourne et s’enfuit. Je me lance à sa poursuive vivement, essayant de le coincer. Il est rapide, mais pas assez. J’arrive à le rattraper sans trop de mal. Mes dents se plantent dans son corps frêle et je serre. Il couine, mais je l’achève de suite en m’excusant intérieurement. Je ne suis pas comme ces loups sanguinaire qui aiment voir leurs proies se débattre sous eux en hurlant. Je suis respectueuse. Tout cela n’a prit que quelques minutes. Je m’empresse de le manger tout en savourant chaque bouchée. Je me sens un peu mieux, mais pas assez.